Taux d’intérêts réels ou irréels ?

15.12.2021 15:10 - La Financière de l'Echiquier

L’épisode de fièvre inflationniste que traversent les Etats-Unis et la zone euro a fait plonger mécaniquement les taux d’intérêt réels – les taux d’intérêts nominaux corrigés de l’inflation – en territoire négatif. Pour retrouver pareils cas à travers l’Histoire, il faut remonter aux guerres mondiales ou à l’hyperinflation des années 1970. Cependant, les catalyseurs étaient bien différents : pénuries lors des guerres dans le premier cas, chocs pétroliers dans le second. A bien des égards, la situation actuelle peut sembler irréelle pour un économiste qui se penche sur sa bibliothèque d’ouvrages économiques.

Aujourd’hui, le taux américain à 10 ans et le taux européen de référence, le 10 ans allemand, atteignent -3% quand ils sont corrigés de l’inflation cœur, excluant les prix de l’alimentation et de l’énergie. Ce pourcentage est bien plus faible en considérant l’inflation globale.

Quels impacts pour les agents économiques ?

Pour les plus prudents des épargnants, il s’agit d’une lente euthanasie comme Keynes le soulignait puisque l’inflation érode la rémunération des actifs réputés sans risque. Ainsi un investisseur qui prêterait à 10 ans aux Etats-Unis ou à l’Allemagne verrait-il le pouvoir d’achat de son épargne diminué de plus d’un quart si la situation restait en l’état jusqu’à échéance. Les épargnants disposés à prendre plus de risques sont quant à eux mécaniquement poussés vers des actifs plus rémunérateurs, donc plus risqués… au risque de contribuer à la création de bulles. L’appétit actuel pour les cryptoactifs en est peut-être l’une des conséquences.

Pour les citoyens et les Etats, ces taux réels nettement négatifs ont le mérite de rendre la dette publique soutenable. L’endettement rapporte en termes réels : l’inflation augmente les recettes au-delà du coût de l’emprunt. Aussi irréel que cela puisse paraître, l’Etat s’enrichit donc en s’endettant !

Pour les entreprises, la faiblesse du coût de l’endettement fait apparaître comme potentiellement rentables des projets d’investissement qui ne l’étaient pas avec des taux réels plus élevés. Une rentabilité même lointaine et hypothétique permet ainsi de justifier la valorisation d’entreprises pourtant en déficit chronique. L’incitation à s’endetter et à investir est donc bien réelle.

Pour les banques centrales, leur statut de mandataires d’une inflation maîtrisée et de premières créancières des Etats peut sembler irréel. Si elles choisissent de respecter l’un des objectifs explicite de leur mandat – la lutte contre l’inflation –, elles devraient stopper rapidement leurs achats d’actifs et remonter les taux directeurs. Ce qui fragiliserait mécaniquement les Etats dont elles détiennent une très large partie de la dette. In fine les banques centrales risqueraient de se décrédibiliser en fragilisant leur propre bilan. Il semble désormais clair que les mandats de la Fed et de la BCE poursuivent l’objectif implicite de maintenir des taux réels a minima nuls, et idéalement négatifs. Cela explique leur réticence à s’engager avec vigueur dans la voie du resserrement monétaire depuis plusieurs mois. A court terme, cet exercice d’équilibriste semble réaliste. A long terme, il pourrait se transformer en mission impossible si l’inflation venait à déraper.

Aussi irréels qu’ils puissent paraître, les taux réels négatifs ont vocation à devenir une nouvelle réalité.

Par Olivier de Berranger, CIO, LFDE