BCE : Question d’équilibre

14.09.2021 23:00 - La Financière de l'Echiquier

La politique monétaire est bien souvent une politique des mots, tout aussi efficace. La dernière intervention de la présidente de la banque centrale européenne (BCE) l’illustre à l’envie. Formulant elle-même le commentaire de sa propre action lors de la conférence de presse faisant suite au comité de politique monétaire du 9 septembre, elle déclara à propos de la réduction du rythme d’achats d’actifs par la banque centrale : « The Lady is not tapering, she’s recalibrating » (la dame ne réduit pas les achats, elle les recalibre).

Le marché a très bien pris la nouvelle, à laquelle il s’attendait d’ailleurs, d’autant que l’enrobage est joli : « recalibrer » est bien plus doux que « réduire le soutien monétaire ». C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit : au lieu d’acheter près de 80 milliards d’euros par mois d’obligations au titre du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), la BCE réduira un peu cette somme. Ou plutôt – puisque le terme « réduire » serait encore trop négatif – elle achètera toujours, mais à un rythme « modérément moindre » (a moderately lower pace). De combien ? On ne sait pas. Donner un montant ferait-il trop peur ? Mais beaucoup s’attendent à une réduction de l’ordre de 10 à 20 milliards d’euros par mois.

Ne nous y trompons pas, au-delà des mots, il s’agit pourtant bel et bien d’une réduction du soutien monétaire, du moins au titre de ce programme (il y en a d’autres). En cela, la BCE – une fois n’est pas coutume – précède de peu la banque centrale américaine, qui a indiqué récemment qu’un « tapering » était à l’étude. Le mot tabou a bien été employé en l’occurrence : un « tapering » est une véritable réduction d’offre monétaire.

Les perspectives de ces recalibrages pourraient a priori inquiéter les marchés, mais ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

Premièrement, ils sont tout à fait légitimes à ce stade du cycle. Dans les pays riches, la croissance et l’inflation montrent une rare vigueur. Elles recèlent certes des fragilités, d’autant qu’elles sont largement achetées à crédit (y compris au sens environnemental), mais elles sont incontestables. L’inflation élevée pourrait en effet s’avérer plus durable qu’elles ne l’envisagent, les obligeant à opérer un resserrement plus brutal qu’attendu. L’avenir le dira.

Deuxièmement, il existe du moins à la BCE un autre programme d’achat, plus ancien : le APP (Asset Purchase Programme), à hauteur de 20 milliards d’euros par mois actuellement, sans date de fin prédéterminée. On peut imaginer, même si rien n’est garanti, que son rythme augmente et compense au moins en partie la réduction du PEPP.

Enfin, ces « recalibrages », même s’ils s’avéraient vigoureux, ne bouleverseraient pas totalement les dynamiques de flux sur les obligations d’Etat. Car les banques centrales des grands pays détiennent désormais une masse considérable de la dette souveraine de leurs pays (ou zone) : autour de 20% pour les Etats-Unis, davantage encore pour la zone euro et surtout pour le Japon. Le simple fait que les banques centrales réinvestissent le stock arrivant à maturité assure aux Etats une part significative de leurs besoins de refinancements annuels. Donc tant que les banques centrales ne réduisent pas leur bilan – et de cela, il n’est absolument pas question pour l’instant – le financement des Etats est grandement facilité.

Ce mécanisme risque-t-il une fin tragique ? Probablement pas, car plus les banques centrales sont engagées dans cette logique, plus elles ont intérêt à la maintenir et à se coordonner pour éviter un effondrement systémique. Les déséquilibres chroniques et concertés créent ainsi les conditions d’un équilibre renforcé – un équilibre de grand calibre.

Par Olivier de Berranger, CIO et Alexis Bienvenu, Fund Manager, LFDE